A peine eut il le temps de finir sa phrase que déjà elle dormait. Il pouvait observer le rythme calme et régulier de sa respiration. Ikard s’installa sur son lit et regarda le doux visage d’Asmita. Sa dense chevelure miel encadrait un visage agréable et harmonieux, légèrement enfantin. Ses lèvres rouges et pulpeuses contrastaient avec sa peau diaphane. Ses pommettes légèrement rosées rehaussaient son teint et lui donnaient un vague air de poupée. Ses grands yeux d’un bleu étincelant étaient clos, privant l’observateur de leur lumière. Plongée dans son sommeil on aurait dit ainsi une fragile et délicate fleur. Il pouvait passer de longues minutes à ne rien faire d’autre que de la contempler. C’était pour lui une sorte de rituel qu’il accomplissait pratiquement chaque soir depuis qu’elle était devenu sa Magus.
Lui aussi était las de cette journée. Il était rongé par la culpabilité. Le plan avait mal tourné et ils avaient dû s’exposer plus que de raison entraînant de gros risques pour Asmita. De rage, il sera ses dents jusqu’à percevoir ce goût métallique si caractéristique du sang. Elle aurait pu être blessée ou pire, y laisser la vie. Il aurait dû mieux préparer cette attaque. Il aurait dû approfondir son enquête et préparer un meilleur plan avec les autres. Mais seulement voila, il avait été trop pressé d’en finir avec cette chasse. Il n’avait aspiré qu’à rentrer rapidement, recevoir les éloges qui lui auraient été dus. Il s’était déjà vu bénéficier d’une permission. Il en aurait alors profiter pour amener Asmita chez lui, sur les terres ancestrales de sa famille. Là, enfin, il aurait eu tout le loisir de la courtiser, de l’aimer, de la faire se sentir femme. Si seulement il n’avait pas été aussi impétueux…
La magus bougea dans son sommeil. Un voile de trouble passa sur son beau visage. Ikard se força immédiatement à se calmer et à penser à autre chose. Il refit les exercices de concentration et de respiration qu’il avait appris étant novice. Ils effaceraient toutes pensées de son esprit. Il ne voulait surtout pas qu’elle puisse percevoir ses sentiments à cause du lien. Le moment n’était pas encore venu et cela ne ferait que la perturber inutilement, elle si belle et si fragile.
Le vide se faisant dans son esprit, Ikard réalisa alors à quel point il était lui aussi épuisé. Il se coucha et fut, à son tour emporté par le sommeil.
***
L’arc de foudre l’éblouit. Le choc propulsa les deux corps sur plusieurs mètres, puis ils retombèrent dans la boue, inertes et fumants. Elle réalisa avec horreur ce qu’elle venait de faire et sentit alors quelque chose se briser en elle. Elle se mit à pleurer, de grosses larmes roulèrent sur ses joues traçant des sillons dans la poussière qui maculait son visage. Tout son corps tremblait. Elle essaya de crier mais sa gorge était nouée et la brulait. Elle ne pu pousser qu’une longue et silencieuse plainte de souffrance.
Asmita s’éveilla en sursaut se redressant subitement sur son lit. Ses oreilles bourdonnaient encore du grondement imaginaire de la foudre et ses yeux durent se réadapter à l’obscurité de la pièce. Elle frissonna. Elle venait encore une fois de refaire cet horrible cauchemar.
En fait de cauchemar, il s’agissait d’un ancien et douloureux souvenir, qui refaisait parfois surface lors de son sommeil, la hantant tel un esprit vengeur. Alors jeune adolescente dans un village de la plaine de Stul où elle vivait avec sa famille, elle avait fait la connaissance et s’était amourache d’un jeune homme. Ce dernier était le fils du forgeron, dont la famille, issue de Frostheim, passait pour être de féroces sauvages. A force d’œillades et de gestes évocateurs, elle su attirer son attention. Ils commencèrent par se rencontrer en cachette comme tous jeunes adolescents de cet âge là. Ils évitaient ainsi d’aller au devant d’ennuis sérieux avec leurs familles respectives. Au fur et à mesure que leur attachement grandissait, ils se voyaient de plus en plus souvent, prenant ainsi de plus grands risques.
Les souvenirs affluaient avec leurs lots de sentiments dont la force avait à peine été affectée par le temps. Elle pouvait ainsi se rappeler de manière très nette, le feu qui brûla en elle la première fois ou leurs regards se croisèrent, ou l’angoisse précèdent sa déclaration, ce moment d’à peine quelques secondes qui parait durer une éternité, puis le pur bonheur qui suivi lorsqu’elle apprit la réciprocité de son amour. Malheureusement d’autres souvenirs, amers eux, revenaient avec la même clarté. Elle revit son père la rosser quand il avait appris la situation. Elle se revit misérable et en larme lorsqu’elle fut forcée de rompre et envoyée chez sa tante pour oublier son amour de jeunesse. C’est arpès être rentré chez elle, suite à une période de quarante jours passée à se morfondre, que le drame s était produit.
C’était un de ces beaux jours de début de printemps où le soleil baigne la nature de son éclat bienfaiteur et où une légère brise vivifiante vous fait rosir les joues. Finn’, le valet de ferme d’Emeraline, sa tante, l’avait conduit jusqu’à l’auberge de ses parents. Le temps ayant adouci les griefs, elle fut accueillit avec chaleur par sa famille, exception faite de sa plus jeune sœur, Lina, trop malade pour quitter sa couche. C’était dans l’après-midi, alors que la fièvre de Lina avait augmentée, qu’Asmita était partie chercher de l’aide à la mission théologienne locale.
Le ciel s’était fait menaçant et la pluie n’avait pas tardé. Asmita, pour gagner du temps, avait décidé de couper à travers les fourrés. Il s’était mis à pleuvoir averse et elle avait alors cherché à s’abriter sous un arbre. Les chausses crottées et le visages griffées part les branchages, elle avait trouvé refuge sous un vieux chaîne plusieurs fois centenaire qui lui avait servi de lieux de rendez vous secret si souvent. Malgré le bruit de la pluie, elle avait entendu d’étranges bruits provenant de derrière un buisson. Curieuse, elle était allée discrètement voir de quoi il retournait. Elle avait ainsi surpris le jeune homme qui avait été son premier amour en plein acte avec une autre fille. Passée la stupeur initiale, un violent sentiment de dégoût et de colère l’avait envahi. Elle qui avait naïvement cru qu’ils auraient pu se revoir à son retour et qui s’en était fait une joie. Elle qui avait été certaine que leurs parents auraient fini par accorder leurs bénédiction à cette union. Elle avait ressenti tout le fiel de cette trahison jusqu’au tréfonds de son âme. C’était à ce moment là, que pour la première fois, elle avait senti cette formidable ruée d’énergie s’élever en elle. Cette puissance l’avait exaltée, la transcendant et menaçant de submerger son esprit. Alors au paroxysme de sa rage elle avait relâché toute cette énergie sur le couple, objet de son courroux. Sans qu’elle eu le temps de comprendre ce qu’il s’était passé, de la foudre avait jailli de ses doigts frappant les amants stupéfés de plein fouet. C’était ainsi qu’elle fit la découverte de ses pouvoirs de magus.
La voix d’Ikard la sortit de sa torpeur.
“Tu as encore fait ce rêve?”
“Oui, encore…” répondit elle en un souffle. “Je fais toujours ce rêve quand j’utilise mes pouvoirs sous l’émotion.”
Sa voie tremblante trahissait ses angoisses. Mais elle pouvait sentir la bienveillance d’Ikard au travers du lien, ce qui la réconforta. Il était préoccupé par le trouble d’Asmita et essayait de la calmer, de la consoler.
“Tu sais ce n’est pas vraiment ta faute… Mais, arrêtons d’en parler. Essaye plutôt de te reposer, tu en as bien besoin après une pareille journée. Demain nous devrons reprendre la route et d’autres épreuves nous attendent.”
“ C’est gentil, vraiment. Ca fait du bien d’entendre ça. Je suis désolée, mais ça doit être pénible à la longue de me supporter.” Son visage montrait un pauvre sourire désabusé.
“Arrête! tu sais bien que c’est faux! ”
Il tendit la main et lui caressa le visage avec tendresse.
“C’est normal de se plaindre de ce que tu as vécu. N’importe qui à ta place se serait déjà effondré et aurait laché prise. Tu ne devrais pas te sous estimer comme ça. Et puis maintenant je commence à être habitue et je dois dire que tu ne te pleins pas si souvent que ça, tu es plus forte que tu ne le penses.”
L’obscurité l’empêcha de la voir rougir. Elle se calla le plus confortablement possible dans le lit afin de se rendormir.
“Tu es toujours gentil avec moi…” Il y eu un silence gêné. “Je… j’ai besoin de dormir.” Asmita mit fin à la conversation d’une voix timide et se retourna dans son lit pour se rendormir.
***
Ikard resta encore un moment éveillé. Les sentiments qu’il éprouvait à l’égard d’Asmita étaient plus forts de jour en jour. Il l’avait aimé dès qu’il l’avait vu.
Il se rappelait à la perfection leur première rencontre. Lui, alors tout jeune novice dans le sacro-saint sanctuaire Théologien de Sprangenhelm, était en train de suivre un court d’histoire du frère Mémoire Dekori, un vieillard décati à l’haleine putride mais ayant un talent sans pareil pour captiver son jeune auditoire à grand renfort d’anecdotes tantôt comiques tantôt coquines. Alors que le court se déroulait dans les superbes jardins intérieurs en ce jour ensoleillé, c’était là une des nombreuses manies de leur professeur, seul le bruissement du vent caressant l’herbe et le clapotis de l’eau s’écoulant des belles fontaines de marbre blanc venait troubler la leçon. Puis les gardes de la basilique avaient annoncé à grands cris et avec de larges gestes l’arrivé d’un lot de jeune magus récemment récupéré. Frère Dekori avait alors arrêter son court sachant pertinemment que ses élèves ne l’écoutait plus. Ils s’étaient tous massés contre le muret délimitant le petit carré d’herbe qui leur servait de salle de classe.
Ils avaient alors tous observé la lente procession. C’était la première fois de sa vie qu’Ikard voyait des magus. Ces derniers étaient enchaînés les uns aux autres par le col. Il fut marqué par leur âge. Il savait déjà que la plupart des magus s’éveillaient à leurs pouvoir pendant leur enfance, mais le fait de le constater de soit même, et de les voir ainsi entraver l’avait mit mal à l’aise. Ces jeunes portaient pour la plupart de simples habits usés, certains allaient même pied nu. Tous étaient recouvert de poussière et portaient les traces d’un long et pénible voyage ainsi que d’un rude traitement. Il n’y en avait guère plus d’une dizaine, aussi il pu détailler chacun d’eux leurs traits se gravant dans sa mémoire.
C’est là qu’il la vit, elle était au milieu de la colonne avançant péniblement, les épaules voûtées et la mine basse. Elle affichait le même regard hagard que les autres. Elle se démarqué par sa taille étant légèrement plus grande et plus âgée que ses compagnons d’infortunes. Sa fragilité l’ému et il en tomba éperdument amoureux. Dès cet instant il fut incapable de la chasser de son esprit. Quoi qu’il fasse, son image s’imposait à lui. C’est à ce moment qu’il se décida à devenir régulus, et ce dans le seul but qu’elle devienne sa magus. Il alla jusqu’à se servir de l’influence et de la richesse de sa famille pour atteindre son but.
Depuis, plus il passait de temps avec elle plus son attirance devenait forte. Il allait tout faire pour mettre la main sur ce Karzov le plus rapidement possible. Ainsi il pourrait enfin se consacrer à elle. Cependant il ne ferait pas la même erreur deux fois. Cette fois ci il ne sous-estimerait pas sa proie.
A Suivre…
Par Tenebrox