La Légende d’Asmita Partie 2 – Le Rêve

A peine eut il le temps de finir sa phrase que déjà elle dormait. Il pouvait observer le rythme calme et régulier de sa respiration. Ikard s’installa sur son lit et regarda le doux visage d’Asmita. Sa dense chevelure miel encadrait un visage agréable et harmonieux, légèrement enfantin. Ses lèvres rouges et pulpeuses contrastaient avec sa peau diaphane. Ses pommettes légèrement rosées rehaussaient son teint et lui donnaient un vague air de poupée. Ses grands yeux d’un bleu étincelant étaient clos, privant l’observateur de leur lumière. Plongée dans son sommeil on aurait dit ainsi une fragile et délicate fleur. Il pouvait passer de longues minutes à ne rien faire d’autre que de la contempler. C’était pour lui une sorte de rituel qu’il accomplissait pratiquement chaque soir depuis qu’elle était devenu sa Magus.

Lui aussi était las de cette journée. Il était rongé par la culpabilité. Le plan avait mal tourné et ils avaient dû s’exposer plus que de raison entraînant de gros risques pour Asmita. De rage, il sera ses dents jusqu’à percevoir ce goût métallique si caractéristique du sang. Elle aurait pu être blessée ou pire, y laisser la vie. Il aurait dû mieux préparer cette attaque. Il aurait dû approfondir son enquête et préparer un meilleur plan avec les autres. Mais seulement voila, il avait été trop pressé d’en finir avec cette chasse. Il n’avait aspiré qu’à rentrer rapidement, recevoir les éloges qui lui auraient été dus. Il s’était déjà vu bénéficier d’une permission. Il en aurait alors profiter pour amener Asmita chez lui, sur les terres ancestrales de sa famille. Là, enfin, il aurait eu tout le loisir de la courtiser, de l’aimer, de la faire se sentir femme. Si seulement il n’avait pas été aussi impétueux…

La magus bougea dans son sommeil. Un voile de trouble passa sur son beau visage. Ikard se força immédiatement à se calmer et à penser à autre chose. Il refit les exercices de concentration et de respiration qu’il avait appris étant novice. Ils effaceraient toutes pensées de son esprit. Il ne voulait surtout pas qu’elle puisse percevoir ses sentiments à cause du lien. Le moment n’était pas encore venu et cela ne ferait que la perturber inutilement, elle si belle et si fragile.

Le vide se faisant dans son esprit, Ikard réalisa alors à quel point il était lui aussi épuisé. Il se coucha et fut, à son tour emporté par le sommeil.

 ***

             L’arc de foudre l’éblouit. Le choc propulsa les deux corps sur plusieurs mètres, puis ils retombèrent dans la boue, inertes et fumants. Elle réalisa avec horreur ce qu’elle venait de faire et sentit alors quelque chose se briser en elle. Elle se mit à pleurer, de grosses larmes roulèrent sur ses joues traçant des sillons dans la poussière qui maculait son visage. Tout son corps tremblait. Elle essaya de crier mais sa gorge était nouée et la brulait. Elle ne pu pousser qu’une longue et silencieuse plainte de souffrance.

Asmita s’éveilla en sursaut se redressant subitement sur son lit. Ses oreilles bourdonnaient encore du grondement imaginaire de la foudre et ses yeux durent se réadapter à l’obscurité de la pièce. Elle frissonna. Elle venait encore une fois de refaire cet horrible cauchemar.

En fait de cauchemar, il s’agissait d’un ancien et douloureux souvenir, qui refaisait parfois surface lors de son sommeil, la hantant tel un esprit vengeur. Alors jeune adolescente dans un village de la plaine de Stul où elle vivait avec sa famille, elle avait fait la connaissance et s’était amourache d’un jeune homme. Ce dernier était le fils du forgeron, dont la famille, issue de Frostheim, passait pour être de féroces sauvages. A force d’œillades et de gestes évocateurs, elle su attirer son attention. Ils commencèrent par se rencontrer en cachette comme tous jeunes adolescents de cet âge là. Ils évitaient ainsi d’aller au devant d’ennuis sérieux avec leurs familles respectives. Au fur et à mesure que leur attachement grandissait, ils se voyaient de plus en plus souvent, prenant ainsi de plus grands risques.

Les souvenirs affluaient avec leurs lots de sentiments dont la force avait à peine été affectée par le temps. Elle pouvait ainsi se rappeler de manière très nette, le feu qui brûla en elle la première fois ou leurs regards se croisèrent, ou l’angoisse précèdent sa déclaration, ce moment d’à peine quelques secondes qui parait durer une éternité, puis le pur bonheur qui suivi lorsqu’elle apprit la réciprocité de son amour. Malheureusement d’autres souvenirs, amers eux, revenaient avec la même clarté. Elle revit son père la rosser quand il avait appris la situation. Elle se revit misérable et en larme lorsqu’elle fut forcée de rompre et envoyée chez sa tante pour oublier son amour de jeunesse. C’est arpès être rentré chez elle,  suite à une période de quarante jours passée à se morfondre, que le drame s était produit.

C’était un de ces beaux jours de début de printemps où le soleil baigne la nature de son éclat bienfaiteur et où une légère brise vivifiante vous fait rosir les joues. Finn’, le valet de ferme d’Emeraline, sa tante, l’avait conduit jusqu’à l’auberge de ses parents. Le temps ayant adouci les griefs, elle fut accueillit avec chaleur par sa famille, exception faite de sa plus jeune sœur, Lina, trop malade pour quitter sa couche. C’était dans l’après-midi, alors que la fièvre de Lina avait augmentée, qu’Asmita était partie chercher de l’aide à la mission théologienne locale.

Le ciel s’était fait menaçant et la pluie n’avait pas tardé. Asmita, pour gagner du temps, avait décidé de couper à travers les fourrés. Il s’était mis à pleuvoir averse et elle avait alors cherché à s’abriter sous un arbre. Les chausses crottées et le visages griffées part les branchages, elle avait trouvé refuge sous un vieux chaîne plusieurs fois centenaire qui lui avait servi de lieux de rendez vous secret si souvent. Malgré le bruit de la pluie, elle avait entendu d’étranges bruits provenant de derrière un buisson. Curieuse, elle était allée discrètement voir de quoi il retournait. Elle avait ainsi surpris le jeune homme qui avait été son premier amour en plein acte avec une autre fille. Passée la stupeur initiale, un violent sentiment de dégoût et de colère l’avait envahi. Elle qui avait naïvement cru qu’ils auraient pu se revoir à son retour et qui s’en était fait une joie. Elle qui avait été certaine que leurs parents auraient fini par accorder leurs bénédiction à cette union. Elle avait ressenti tout le fiel de cette trahison jusqu’au tréfonds de son âme. C’était à ce moment là, que pour la première fois, elle avait senti cette formidable ruée d’énergie s’élever en elle. Cette puissance l’avait exaltée, la transcendant et menaçant de submerger son esprit. Alors au paroxysme de sa rage elle avait relâché toute cette énergie sur le couple, objet de son courroux. Sans qu’elle eu le temps de comprendre ce qu’il s’était passé, de la foudre avait jailli de ses doigts frappant les amants stupéfés de plein fouet. C’était ainsi qu’elle fit la découverte de ses pouvoirs de magus.

La voix d’Ikard la sortit de sa torpeur.

Tu as encore fait ce rêve?”

Oui, encore…” répondit elle en un souffle. “Je fais toujours ce rêve quand j’utilise mes pouvoirs sous l’émotion.”

Sa voie tremblante trahissait ses angoisses. Mais elle pouvait sentir la bienveillance d’Ikard au travers du lien, ce qui la réconforta. Il était préoccupé par le trouble d’Asmita et essayait de la calmer, de la consoler.

Tu sais ce n’est pas vraiment ta faute… Mais, arrêtons d’en parler. Essaye plutôt de te reposer, tu en as bien besoin après une pareille journée. Demain nous devrons reprendre la route et d’autres épreuves nous attendent.

C’est gentil, vraiment. Ca fait du bien d’entendre ça. Je suis désolée, mais ça doit être pénible à la longue de me supporter.” Son visage montrait un pauvre sourire désabusé.

Arrête! tu sais bien que c’est faux!

Il tendit la main et lui caressa le visage avec tendresse.

C’est normal de se plaindre de ce que tu as vécu. N’importe qui à ta place se serait déjà effondré et aurait laché prise. Tu ne devrais pas te sous estimer comme ça. Et puis maintenant je commence à être habitue et je dois dire que tu ne te pleins pas si souvent que ça, tu es plus forte que tu ne le penses.”

L’obscurité l’empêcha de la voir rougir. Elle se calla le plus confortablement possible dans le lit afin de se rendormir.

Tu es toujours gentil avec moi…” Il y eu un silence gêné. “Je… j’ai besoin de dormir.” Asmita mit fin à la conversation d’une voix timide  et se retourna dans son lit pour se rendormir.

 ***

 Ikard resta encore un moment éveillé. Les sentiments qu’il éprouvait à l’égard d’Asmita étaient plus forts de jour en jour. Il l’avait aimé dès qu’il l’avait vu.

Il se rappelait à la perfection leur première rencontre. Lui, alors tout jeune novice dans le sacro-saint sanctuaire Théologien de Sprangenhelm, était en train de suivre un court d’histoire du frère Mémoire Dekori, un vieillard décati à l’haleine putride mais ayant un talent sans pareil pour captiver son jeune auditoire à grand renfort d’anecdotes tantôt comiques tantôt coquines. Alors que le court se déroulait dans les superbes jardins intérieurs en ce jour ensoleillé, c’était là une des nombreuses manies de leur professeur, seul le bruissement du vent caressant l’herbe et le clapotis de l’eau s’écoulant des belles fontaines de marbre blanc venait troubler la leçon. Puis les gardes de la basilique avaient annoncé à grands cris et avec de larges gestes l’arrivé d’un lot de jeune magus récemment récupéré. Frère Dekori avait alors arrêter son court sachant pertinemment que ses élèves ne l’écoutait plus. Ils s’étaient tous massés contre le muret délimitant le petit carré d’herbe qui leur servait de salle de classe.

Ils avaient alors tous observé la lente procession. C’était la première fois de sa vie qu’Ikard voyait des magus. Ces derniers étaient enchaînés les uns aux autres par le col. Il fut marqué par leur âge. Il savait déjà que la plupart des magus s’éveillaient à leurs pouvoir pendant leur enfance, mais le fait de le constater de soit même, et de les voir ainsi entraver l’avait mit mal à l’aise. Ces jeunes portaient pour la plupart de simples habits usés, certains allaient même pied nu. Tous étaient recouvert de poussière et portaient les traces d’un long et pénible voyage ainsi que d’un rude traitement. Il n’y en avait guère plus d’une dizaine, aussi il pu détailler chacun d’eux leurs traits se gravant dans sa mémoire.

C’est là qu’il la vit, elle était au milieu de la colonne avançant péniblement, les épaules voûtées et la mine basse. Elle affichait le même regard hagard que les autres. Elle se démarqué par sa taille étant légèrement plus grande et plus âgée que ses compagnons d’infortunes. Sa fragilité l’ému et il en tomba éperdument amoureux. Dès cet instant il fut incapable de la chasser de son esprit. Quoi qu’il fasse, son image s’imposait à lui. C’est à ce moment qu’il se décida à devenir régulus, et ce dans le seul but qu’elle devienne sa magus. Il alla jusqu’à se servir de l’influence et de la richesse de sa famille pour atteindre son but.

Depuis, plus il passait de temps avec elle plus son attirance devenait forte. Il allait tout faire pour mettre la main sur ce Karzov le plus rapidement possible. Ainsi il pourrait enfin se consacrer à elle. Cependant il ne ferait pas la même erreur deux fois. Cette fois ci il ne sous-estimerait pas sa proie.

A Suivre…

Par Tenebrox

Publié dans La Légende d'Asmita | Laisser un commentaire

Ersila

Elle était là, allongée sur la fraiche dalle de marbre de sa chambre, résistant à la torpeur qui l’envahissait doucement. Elle se forçait à garder les yeux ouverts et regardait, comme si elle voulait graver cette image pour l’éternité, son amant assis à côté d’elle, avec sur le visage un doux sourire énigmatique.
Alors lui vinrent à l’esprit les derniers mois écoulés…

Elle s’appelait Ersilia, fille adoptive d’un des membres du praesidium de Sofatos.
Sa nature elfique ne faisait aucun doute, mais toute la grâce qu’elle possédait ne faisait jamais oublier à ses interlocuteurs les raisons de son adoption par Igino.
Il était en effet de notoriété publique que lorsqu’elle avait 16 ans, la jeune Ersilia séduisit son beau-père, qu’elle détestait, et le poussa à empoisonner sa mère, puis elle le rendit fou de jalousie en lui annonçant son mariage avec un jeune noble.

Le beau-père se suicida.
Ersilia hérita de la fortune familiale.
Le mariage eut lieu.
Son infortuné mari fut assassiné dans la nuit par de vulgaires voleurs.
Et Ersilia devint une des femmes les plus riches de la ville.

Voilà le genre d’exploit qui vaut récompense à Délici.

Elle fut donc adoptée par Igino, et survécu au milieu des complots et des intrigues, dont elle savait se préserver, quand elle n’en était pas l’instigatrice…
Pour fêter ses 22 ans, Ersilia fit donner une de ses fêtes orgiaques dont elle avait le secret.
Mais ce soir-là, prise de lassitude devant le spectacle de ses invités se livrant à toutes sortes de débauches et d’excès, elle se faufila discrètement hors de la maison, suivit fidèlement par ses deux gardes du corps grassement payés, et sortit de la ville à l’aube.

Alors qu’elle faisait le tour des remparts en laissant son esprit dériver au gré des drogues qu’elle avait pris dans la soirée, elle le vit pour la première fois.
Son émotion fut-elle exacerbée par les stupéfiants ? Toujours est-il qu’elle fut immédiatement et violemment attiré par lui.
Elle fit signe à une de ses gardes du corps, qui suivit aussitôt le jeune homme.

Dès le lendemain, elle sut sur lui tout ce qu’elle avait besoin de savoir :
Il s’appelait Paride.
Fils d’une famille de petite noblesse, il semblait éviter les ennuis et le pouvoir.
Signe de faiblesse, forcément. Tant mieux, il serait d’autant plus facile de le posséder.
Il semblait aussi éviter l’abus des drogues, et vivait proche de la nature.
En entendant celà, Ersilia fit la moue. On croirait entendre parler d’un Frostheimer ! Bah, il apprendrait vite à délaisser ses forêts pour les couloirs de son palais…
Mais tout de même, il allait parfois jusqu’à passer plusieurs semaines en forêt, sans donner de nouvelles à quiconque.
Voilà qui était peut-être plus intéressant. Que ramenait-il de là-bas ? De nouvelles plantes, pour de nouvelles drogues ?
Allons, elle le saurait bien assez tôt.
Et ils devinrent amants.
Qui aurait pu résister au charme d’Ersilia ?

Au fil des semaines qui suivirent, elle se sentit presque heureuse, car loin d’être le rustre qu’elle avait imaginé, Paride se révéla un jeune homme fougueux, pasionné et passionnant.
Il abandonna sans mal la forêt pour les appartements d’Elsiria, comme elle l’avait escompté.
Elle sourit intérieurement le jour où il lui apprit qu’il avait découvert une nouvelle espèce de plante, dont il avait réussi à extraire un suc extrêment puissant, et qu’il se destinait à la commercialisation d’un poison d’une efficacité redoutable, et parfaitement indétectable.

Et peu à peu une idée se fit jour dans l’esprit d’Elsiria. Ne serait-il pas temps d’essayer ce poison sur Igino, et de devenir elle-même membre du conseil…?
Ce n’est pas qu’elle n’aimait pas son père adoptif, mais sa soif de richesses et de pouvoir était plus forte encore.
Paride fut quelque peu réticent à cette idée, d’autant qu’il s’entendait à merveille avec Igino, mais quand elle lui fit miroiter les fortunes dont ils disposeraient, il se laissa peu à peu séduire par cette idée, et par les si beaux yeux d’Elsiria.

Le poison fut distillé dans le dessert qu’ils devaient manger ce soir-là.
Et c’est exactement le moment de sa dégustation qu’Igino choisit pour annoncer à Elsiria une grande nouvelle : il venait de remplir tous les papiers officiels pour faire de Paride son autre enfant adoptif.
Un sourire fugace traversa le visage de son amant, qui se confondit en remerciements émouvants.

Ersilia sut garder son calme jusque dans sa chambre, mais là sa fureur se déchaina sur Paride.
Il restait là, impassible, se laissant traiter de traître, de manipulateur, n’essayant même pas de se défendre ou de calmer sa colère, ne niant même pas avoir été au courant de la décision d’Igino.
Et soudain, elle s’écroula sur le sol, tétanisée, incapable de prononcer une parole de plus.

Alors il s’assit doucement à côté d’elle, lui prit tendrement la main et dit :
« Il est des causes que tu ne peux comprendre. Tu es bien trop frivole. Il existe bien d’autres choses dans la forêt que de simples plantes…J’ai de grands projets. J’ai besoin d’argent, j’ai besoin d’une marionnette au conseil du Praesidium, ton père -devrais-je dire notre père ?- saura tenir ce rôle. Toi, tu ne m’es plus utile en rien, tu deviens un obstacle…Mais dis-moi, que penses-tu de ce poison ? Est-il à la hauteur de tes espérances ? Sans souffrances, il ne te reste que quelques minutes à vivre. »

Elle était là, allongée sur la fraiche dalle de marbre de sa chambre, résistant à la torpeur qui l’envahissait doucement. Elle se forçait à garder les yeux ouverts et regardait, comme si elle voulait graver cette image pour l’éternité, son amant assis à côté d’elle, avec sur le visage un doux sourire énigmatique…

Par Fofo Nette

Publié dans Récits des Terres d'Arlatt | Laisser un commentaire

La Légende d’Asmita – Partie 1: L’Echec

L’échec

 

 Elle se tenait là, immobile, devant le bâtiment en feu, ignorant la foule qui, s’agitant tout autour s’évertuait à éteindre l’incendie. Elle restait là, insensible à la morsure du froid glacial, accablée par le remord et la culpabilité. Le vent s’engouffrant dans l’étroite rue attisait les flammes et son hurlement couvrait le grondement du brasier. Malgré les efforts de la populace, le feu était encore vivace et ne semblait pas vouloir s’éteindre. Les visages de ses compagnons, éclairés par les flammes, salis par la suie et marqués par la fatigue, ressemblaient à de sinistres masques mortuaires. La nuit avait été rude et ils étaient épuisés. Elle ressentait particulièrement la fatigue d’Ikard comme d’habitude, et cela sans même qu’elle n’ait besoin de le voir.

Comme tous les autres magus, elle avait été liée à son régulus suite à l’accomplissement de sa formation au sein de l’Ordre des Théologiens. Ce lien, symbolisé par une laisse, est aussi bien physique que mental. C’est d’ailleurs ce qui leur permet par moment de communiquer par la pensée sans que la parole ne soit nécessaire, ou encore de ressentir les sentiments l’un de l’autre.

Maintenant le lien plus fermement, elle remarqua que son compagnon ressentait une forte colère ainsi qu’une profonde tristesse. Elle se dégagea avant de se faire envahir par ces sentiments, puis se retourna vers ses camarades, Ikard son régulus, Gorak un jeune novice orque, et Jokul un jouvenceau venant tout juste de terminer son noviciat mais déjà promu missionnaire. Les Théologiens portaient les stigmates du combat intense qui s’était déroulé plus tôt dans la nuit. Leurs habits étaient brûlés, déchirés et par endroit souillés de taches de sang. Tous présentaient des entailles et des contusions plus ou moins importantes sur leur chair. Ikard fut le premier à bouger, il se détourna rapidement de la scène faisant tinter la chaîne le liant lui et Asmita.

“Allons y nous ne pouvons plus rien faire ici, les villageois arriveront bien à maîtriser le feu, et nous devons reprendre la chasse demain. Allons nous reposer.”

Les autres acquiescèrent et le suivirent. Asmita repensa alors aux évènements de la nuit et se demanda encore comment ils avaient pu rater leur proie, un certain Karzov. Ce dernier s’était déjà fait connaître pour avoir provoqué des troubles à la frontière de Nardjar il y avait de ça quelques années. Il avait alors disparu de la circulation pendant un temps. C’est récemment qu’il refit surface à Cianatair où il avait fondé un culte dédié à une sombre divinité. D’inquiétantes histoires remontèrent alors jusqu’à l’Ordre et  Karzov fut déclaré « Questare ». Ikard, Asmita et Gorak reçurent instruction de démanteler la secte et de ramener Karzov, vivant de préférence, mort si nécessaire. Le petit groupe avait enquêté pendant plusieurs semaines sur place afin d’en apprendre le plus possible sur leur cible. Ils furent soutenus dans leur tâche par Jokul, le missionnaire de Cianatair. Après tout, Karzov agissait sur les terres de sa mission et Jokul se devait de faire tout ce qu’il y avait en son pouvoir pour l’arrêter.

Chacune de leurs découvertes sur Karzov et le culte augmenta la haine et l’écoeurement qu’ils nourrissaient à son égard. Il se servait du manque d’instruction et de la faiblesse d’âme des villageois de ce coin reculé du Duché de Fer. Choisissant ses victimes avec soin, il les attirait, profitant souvent d’un instant de faiblesse chez elles, et leur faisait alors croire qu’il était l’incarnation d’un être supérieur, que lui seul connaissait leur véritable potentiel et qu’en le servant ils pourraient à leur tour se transcender. C’était essentiellement une vaste escroquerie. Il s’assurait de leur fidélité lors de rituels abjects et obscènes auxquels tous s’adonnaient sous l’emprise d’alcools et autres drogues. Ces actes malsains cimentèrent le culte en lui donnant un fondement collectif moral, une histoire commune et taboue que nul n’oserait plus briser.

C’était pour sauver ces pauvres hères et leur faire prendre conscience de leur égarement qu’Ikard proposa une attaque frontale pendant une des cérémonies de la secte. Ils pourraient alors confondre l’escroc devant ses victimes et ainsi les libérer de son emprise. Ce plan fut accepté par tous. Mais l’assaut ne se déroula pas comme prévu.

Le fait d’y repenser arracha une grimace à Asmita. S’éloignant du lieu de l’incendie elle passait, absente, dans les ruelles sombres et désertes du village. Seul le lointain crépitement des flammes et les bruits de pas de la coterie venaient rompre la quiétude des rues.  Sentant le vent froid, elle s’emmitoufla un peu plus dans son manteau, et cherchant à mieux comprendre ce qui s’était passé lors de l’attaque, elle se replongea dans ses souvenirs.

A la faveur de la nuit, ils s’étaient discrètement approchés du lieu de rencontre de la secte. Ils avaient vérifié les issues possibles et s’étaient divisés afin de ne laisser aucune chance à leur cible. Ikard et elle étaient à la porte principale du bâtiment, alors que Gorak et Jokul s’étaient postés à la porte arrière. Il s’agissait d’une simple bâtisse en pierre taillée et rien ne laissait présager ce qu’il se déroulait à l’intérieur. Eux-mêmes ne savaient pas jusqu’où le mal s’étendait.

Elle se revit alors fracasser la porte d’entrée d’une puissante déflagration psychique puis pénétrer les ténèbres inquiétantes du bâtiment à la suite d’Ikard. De leur côté, Gorak et Jokul avaient enfoncé la porte arrière à grands coups d’épaules pour se retrouver à leur tour dans le temple impie. L’horrible scène se déroula dans son esprit avec une lenteur et une précision malsaine. Elle revit le sourire inquiétant de Karzov, les sectateurs tremblants et psalmodiants au centre de la pièce. Des corps mutilés d’enfants gisaient sur le sol de ce sinistre lieu. Les murs portaient encore les sombres traces des sévices infligés à ces pauvres innocents. Elle était alors entrée dans une rage folle et avait appelé à elle une incroyable quantité d’énergie qui l’aurait consumée sans l’intervention de son régulus. Ikard avait déployé son esprit afin de l’aider à contrôler la fureur bouillonnante en elle. Elle avait alors put canaliser et propulser toute cette haine sous la forme d’un puissant arc électrique en direction de Karzov. L’éclair jaillit de ses mains et frappa le démagogue de plein fouet grillant au passage quelques sectateurs. Cependant un halo noir entoura sa cible. Pendant un instant, elle eut l’impression que la température avait diminué dans la pièce et que des nuées d’insectes se rassemblaient à l’orée de son champ de vision. C’était le cri strident des sectateurs encore en vie qui l’avait tirée de sa torpeur.

La bile lui montait à la gorge alors qu’elle repensait au massacre qui avait suivi. Les sectateurs complètement galvanisés les chargèrent. La raison céda à la folie et à la violence des combats. Les dévots combattaient avec la force des fanatiques et des déments. Les Théologiens, eux, répliquèrent avec acharnement et ferveur. Ils combattirent pour leur vie et pour ce qu’ils savaient être juste. Ce fut une véritable boucherie, aucun des cultistes ne survécut. Après tout il s’agissait surtout de pauvres crèves-la-faim trompés et abusés, croyant avoir ainsi une vie meilleure. Ils n’avaient ni l’entraînement, ni la discipline des Théologiens. A la fin du combat, le chef du culte avait pris la fuite, profitant de la mêlée pour s’échapper discrètement et semer ses poursuivants. Ils avaient été si proches du but.

La colère qui aiguillée par le souvenir de cette scène, avait commencé à poindre s’estompa pour laisser place à la rancœur ainsi qu’à un fort sentiment de culpabilité.

Sentant la détresse d’Asmita, Ikard se rapprocha d’elle et passa un bras réconfortant autour de ses épaules.

“Allez, après un bon bain et une bonne nuit de sommeil, ça ira mieux.”

Ne voyant aucune réaction de la part de sa camarade, il poursuivit.

“Et puis on s’est tous planté sur ce coup… personne n’avait vu venir que c’était plus qu’un simple escroc ! Tu n’as pas à porter le poids de ces erreurs, de ces morts seules. On a pas eu le choix, c’était eux ou nous”

“Je sais bien…. Mais ce que l’on a vu là bas… ce que l’on a dû faire…”

Jokul et Gorak s’approchèrent du couple, alarmés par le timbre de la voix d’Asmita. L’orque tenta de la consoler à sa manière.

“Il paiera pour ça et tout le reste! Que les ancêtres m’en soient témoins!”

Jokul approuva d’un mouvement de tête puis leur indiqua du doigt la mission maintenant toute proche. Ils allaient enfin pouvoir se reposer de l’agitation de la nuit. C’était une ancienne et massive bâtisse construite en pierre sur un petit promontoire rocheux. Sa lourde porte de bois brut et son toit plat en terrasse entouré d’un muret crénelé en faisait un très bon point défensif d’où l’on pouvait surveiller les alentours. Jokul les invita à entrer.

“On est arrivé. Vous savez où sont vos chambres ainsi que la salle d’eau. Si vous avez faim, il doit y avoir ce qu’il faut à la cuisine. Pour l’heure je dois m’occuper des préparatifs des  hommages du matin et laisser mes instructions à mes deux novices. Je suppose que l’on reprend la route demain.”

 Ikard sourit aux propos du missionnaire.

 “ Tu supposes bien mon bon ami. Je suis heureux que tu veuilles nous accompagner dans cette traque. Ton aide est la bienvenue. ”

 Gorak opina du chef et se dirigea vers la cuisine, pendant qu’Asmita et Ikard gagnèrent leur chambre. Elle avait la tête qui tournait et elle pouvait sentir poindre un début de migraine. A peine avaient-ils pénétrés la chambre qu’elle fut prise de vertiges. Ikard la rattrapa avec douceur puis la porta dans sa couche.

“Dors tranquillement, tu as besoin de repos, la soirée a dû complètement t’épuiser.”

Sa voix était douce et réconfortante. Ce fut là les dernières paroles qu’elle entendit avant de sombrer dans un profond sommeil.

A Suivre…

Par Tenebrox

Publié dans La Légende d'Asmita | Laisser un commentaire